La place de Jacques Chessex au sein de la littérature suisse romande est considérable, on ne l'affirmera jamais assez. Force est de constater que son rayonnement à Paris n'en a pas fait un auteur français ; il n'a pas connu ni subi le sort que l'Histoire a réservé aux «grands ancêtres», Jean-Jacques Rousseau, Madame de Staël, Benjamin Constant, Henri-Frédéric Amiel dont l'ancrage helvétique a été totalement ou partiellement gommé. Cela étant, son impact est supérieur à celui de Charles-Ferdinand Ramuz, lequel n'avait pas pour objectif l'émergence d'une littérature «nationale». Chessex briguait-il le statut de «seul, unique et véritable père-fondateur» de la littérature suisse d'expression française ? Il est à la fois un continuateur (il revendique son appartenance à une chaîne d'écrivains) et un pionnier qui use du modèle naturaliste mais le déborde, exhibant la force qui, consubstantielle à tout ce qui est, précipite les êtres et les choses vers leur fin. Il a organisé son existence en pansant ses blessures dans l'ambivalence d'un «Je» qui dévoilait ses plaies autant qu'il les dissimulait par le truchement d'une écriture conçue comme une «confession» performative et conduite sous les regards des lecteurs auxquels il reprochait pourtant leur accointance avec le fini et de Dieu qu'il interpellait. Il était un croyant qui ne méprisait pas le charnel, ses contemporains ne l'admettaient pas toujours, lui s'en amusait volontiers. Le présent essai, avec ses notes de traverses, s'efforce de restituer le cheminement de son auteur dans l'oeuvre de cet important écrivain.